Chaque saison.
Un film belge singulier.
Sur grand écran, près de chez vous.
Dans une galerie marchande, clients et vendeuses se rencontrent tous les jours. Tous rêvent d'amour, chantent et dansent au rythme du chœur des shampouineuses. Un drame musical aux intrigues amoureuses complexes.
Un centre commercial de désirs
Perspective sur Golden Eighties
Texte d'introduction de Nina de Vroome
On est en 1986, dans un centre commercial de Bruxelles, et l’on rencontre une foule de personnages hauts en couleur. Il y a des magasins de vêtements et un salon de coiffure dans la lumière bleutée et stérile de façades en verre. Les talons des coiffeuses claquent joyeusement sur le carrelage blanc, lorsqu’un rebondissement romantique ravive les esprits. "Il l’a trompée !" Les clientes dévalent les escaliers, les épaules encore mouillées, et examinent les vitrines. Les shampouineuses chantent : "Il pleut ! Comme j'aime la pluie !", bien qu’on ait jamais l'occasion de la voir, la pluie, puisque le centre commercial est souterrain. La lumière du jour n'y pénètre pas et les personnages semblent se suffire les uns aux autres. Les nombreuses relations amoureuses restent confinées à cet univers de shopping.
Comédie musicale énergique, Golden Eighties est le film le plus coloré de Chantal Akerman, réalisé à l'âge de 36 ans. Akerman est née à Bruxelles dans une famille juive polonaise. Sa mère, dont les parents ont tous deux été assassinés à Auschwitz, est une survivante de l'Holocauste. Cette histoire familiale a joué un rôle majeur dans la vie et l'œuvre d'Akerman. Akeramn a plusieurs fois mis en images la relation avec sa mère, comme dans News from Home (1976), réalisé alors qu'elle vivait à New York, et No Home Movie (2015). Elle retourne en Belgique en 1973, où elle réalise notamment Je, tu, il, elle (1976), qui la rend célèbre. Elle s'installe ensuite à Paris. Elle a réalisé de nombreux longs métrages, courts métrages et documentaires qui ont inspiré des générations de cinéastes. Son film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) a récemment été nommé meilleur film de tous les temps par le magazine Sight&Sound du British Film Institute.
Dans une conversation avec le producteur de théâtre belge Jan Decorte, Akerman explique comment Golden Eighties s'est transformé très naturellement en comédie musicale. "Quand tu entres dans une galerie, le matin (...) il suffit que les filles arrivent plus ou moins en même temps et qu'elles ouvrent leur boutique, pour que ce soit déjà choregraphié". Les filles sont observées à travers les vitrines des magasins et, à leur tour, elles épient constamment ce qui se passe à l'extérieur. Tout le monde fait du "lèche-vitrines" : le centre commercial est avant tout un lieu où sont cultivés les désirs. La vitrine du magasin de vêtements éveille l’envie d'un nouveau look afin d’être attirant(e) pour l’objet de son désir.
Golden Eighties présente un tourbillon continu de désirs jamais satisfaits. Akerman a déclaré à ce sujet : "L'amour, c'est comme une jupe. Si l'une ne vous va pas, vous en cherchez une autre". Dans la société de consommation moderne, l'amour devient interchangeable. Dans les années 1980, la société semble se détacher des relations à long terme et du passé. Mais l'Histoire a bel et bien eu lieu. Le personnage de Jeanne Schwartz, interprété par Delphine Seyrig, est une survivante polonaise des camps de concentration. Aujourd'hui, elle tient un magasin de vêtements avec son mari ennuyeux et leur charmant fils. La vie se déroule donc désormais dans ce monde de verre et de shampoing parfumé.
Les mélodies des Golden Eighties restent en tête. Akerman a écrit les chansons elle-même, avec le compositeur Marc Hérouet, interprétées par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, entre autres. À ses débuts, Akerman n'utilisait jamais de musique dans ses films, jusqu'à ce qu'elle rencontre Wieder-Atherton en 1984 et soit touchée par les rythmes, les motifs et l'énergie qu'elle apportait avec sa musique. Depuis, elles ont travaillé ensemble et sont devenues très proches. Sonia Wieder-Atherton a déclaré : "Je suis devenue sa bande-son, et elle est devenue les images de ma musique". Les images et la musique coïncident totalement dans Golden Eighties, une comédie musicale qui continue de résonner dans l'œuvre d'Akerman, où l'humour, le corps en mouvement et la musicalité restent omniprésents.
Un centre commercial de désirs
Perspective sur Golden Eighties
Texte d'introduction de Nina de Vroome
On est en 1986, dans un centre commercial de Bruxelles, et l’on rencontre une foule de personnages hauts en couleur. Il y a des magasins de vêtements et un salon de coiffure dans la lumière bleutée et stérile de façades en verre. Les talons des coiffeuses claquent joyeusement sur le carrelage blanc, lorsqu’un rebondissement romantique ravive les esprits. "Il l’a trompée !" Les clientes dévalent les escaliers, les épaules encore mouillées, et examinent les vitrines. Les shampouineuses chantent : "Il pleut ! Comme j'aime la pluie !", bien qu’on ait jamais l'occasion de la voir, la pluie, puisque le centre commercial est souterrain. La lumière du jour n'y pénètre pas et les personnages semblent se suffire les uns aux autres. Les nombreuses relations amoureuses restent confinées à cet univers de shopping.
Comédie musicale énergique, Golden Eighties est le film le plus coloré de Chantal Akerman, réalisé à l'âge de 36 ans. Akerman est née à Bruxelles dans une famille juive polonaise. Sa mère, dont les parents ont tous deux été assassinés à Auschwitz, est une survivante de l'Holocauste. Cette histoire familiale a joué un rôle majeur dans la vie et l'œuvre d'Akerman. Akeramn a plusieurs fois mis en images la relation avec sa mère, comme dans News from Home (1976), réalisé alors qu'elle vivait à New York, et No Home Movie (2015). Elle retourne en Belgique en 1973, où elle réalise notamment Je, tu, il, elle (1976), qui la rend célèbre. Elle s'installe ensuite à Paris. Elle a réalisé de nombreux longs métrages, courts métrages et documentaires qui ont inspiré des générations de cinéastes. Son film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) a récemment été nommé meilleur film de tous les temps par le magazine Sight&Sound du British Film Institute.
Dans une conversation avec le producteur de théâtre belge Jan Decorte, Akerman explique comment Golden Eighties s'est transformé très naturellement en comédie musicale. "Quand tu entres dans une galerie, le matin (...) il suffit que les filles arrivent plus ou moins en même temps et qu'elles ouvrent leur boutique, pour que ce soit déjà choregraphié". Les filles sont observées à travers les vitrines des magasins et, à leur tour, elles épient constamment ce qui se passe à l'extérieur. Tout le monde fait du "lèche-vitrines" : le centre commercial est avant tout un lieu où sont cultivés les désirs. La vitrine du magasin de vêtements éveille l’envie d'un nouveau look afin d’être attirant(e) pour l’objet de son désir.
Golden Eighties présente un tourbillon continu de désirs jamais satisfaits. Akerman a déclaré à ce sujet : "L'amour, c'est comme une jupe. Si l'une ne vous va pas, vous en cherchez une autre". Dans la société de consommation moderne, l'amour devient interchangeable. Dans les années 1980, la société semble se détacher des relations à long terme et du passé. Mais l'Histoire a bel et bien eu lieu. Le personnage de Jeanne Schwartz, interprété par Delphine Seyrig, est une survivante polonaise des camps de concentration. Aujourd'hui, elle tient un magasin de vêtements avec son mari ennuyeux et leur charmant fils. La vie se déroule donc désormais dans ce monde de verre et de shampoing parfumé.
Les mélodies des Golden Eighties restent en tête. Akerman a écrit les chansons elle-même, avec le compositeur Marc Hérouet, interprétées par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, entre autres. À ses débuts, Akerman n'utilisait jamais de musique dans ses films, jusqu'à ce qu'elle rencontre Wieder-Atherton en 1984 et soit touchée par les rythmes, les motifs et l'énergie qu'elle apportait avec sa musique. Depuis, elles ont travaillé ensemble et sont devenues très proches. Sonia Wieder-Atherton a déclaré : "Je suis devenue sa bande-son, et elle est devenue les images de ma musique". Les images et la musique coïncident totalement dans Golden Eighties, une comédie musicale qui continue de résonner dans l'œuvre d'Akerman, où l'humour, le corps en mouvement et la musicalité restent omniprésents.
Un documentaire qui se concentre sur la manière dont Anne Teresa De Keersmaeker transmet son vocabulaire gestuel aux danseurs de formation classique du prestigieux Ballet de l’Opéra national de Paris.
Perspective sur Rain
Sous la plume de Charlotte Garson critique du cinéma et rédactrice en chef adjointe des Cahiers du Cinéma :
“À la demande de l’Opéra de Paris, Anne Teresa De Keersmaeker accepte de monter à nouveau Rain (2001), dont la gestuelle contemporaine paraît a priori étrangère à l’illustre compagnie française. Familiers du travail de la chorégraphe qui leur a déjà commandé des captations, les réalisateurs partagent avec elle un goût de la rigueur et de la sensualité. En l’occurrence, sobriété documentaire et discrètes incursions romanesques, comme lorsque, faisant fi de la chronologie et des règles de la compagnie de l’Opéra (filmer, d’accord, mais pas une seule personne), la caméra s’attarde sur la beauté gracile de l’une des ballerines. Le montage alterne ainsi des régimes d’images différents : vidéo de la première création de Rain que consulte parfois la troupe, plans de caméras de surveillance de l’Opéra, conversations téléphoniques de la chorégraphe… Le film se fait rideau, semblable à la frange minimale et ondoyante du décor de Rain à Paris. Par ce qu’elle soustrait au regard, cette forme fragmentaire suggère qu’au-delà du travail technique d’apprentissage des pas, une appropriation plus mystérieuse a lieu. Une transmission visible seulement, peut-être, dans le présent vivant de la performance.”
Les cinéastes Olivia Rochette et Gerard-Jan Claes à propos de leur film :
“En 2009, Anne Teresa De Keersmaeker nous a demandé de filmer sa chorégraphie The Song. Ce fut le début d’une longue collaboration : à ce jour, nous avons filmé des dizaines de spectacles, vidéos, entretiens, bandes-annonces et avons également réalisé deux documentaires qui détaillent son processus de travail, , toujours en collaboration étroite avec Rosas, la compagnie de danse d’Anne Teresa. Nous avons très rapidement développé une forte affinité avec le travail d’Anne Teresa. Ses spectacles oscillent entre un monde abstrait, mental et un monde concret, physique. Les danseurs eux-mêmes alternent entre maitrise, ordre et symétrie d’une part, et font preuve, d’autre part, d’une explosivité́ et d’une perte totale de contrôle. Cela crée une esthétique complexe mais riche. Anne Teresa parvient à travailler, à l’intérieur d’un cadre strictement défini, de manière très intuitive.
C’est aussi un point très important dans notre conception du documentaire. Nous aimons travailler de manière intuitive dans un cadre prédéterminé. Chaque film a un point de départ défini et se développe au gré des rencontres avec des personnes, un espace, un morceau de musique, des couleurs et textures... C’est une façon tout aussi rationnelle que spontanée de travailler, sans pour autant que l’arbitraire prenne le relais. Pour nous, le documentaire représente bien davantage qu’un moyen de transmettre des informations. C’est la combinaison d’une candeur espiègle et d’une structure complexe qui peut parfois faire naître une certaine poésie raffinée.
Quand Anne Teresa a accepté de mettre en scène une pièce à l’Opéra de Paris, elle a nous demandé de créer un documentaire sur le processus. Dès que nous avons franchi les portes de l’Opéra de Paris, un monde merveilleux s’est ouvert à nous : une institution avec une hiérarchie stricte, des règles et des danseurs étoiles. Des rouages complexes se cachent derrière cette imposante façade. Notre documentaire Rain se focalise sur la manière dont Anne Teresa, au sein de Rosas, transmet son langage de la danse aux danseurs de ballet ayant reçu une formation classique. C’est une rencontre filmée entre ces deux mondes.
Rain n’est pas un simple enregistrement des méthodes de travail d’Anne Teresa. Le documentaire est composé d’un ensemble d’espaces visuels, auditifs ainsi que de personnages : le studio de répétition, l’Opéra, la musique crée par les sons du bâtiment, un danseur de Rosas, des images de caméra de surveillance, une jeune ballerine, des images de télévision, un chanteur... et à travers les conversations téléphoniques, également la voix impliquée d’Anne Teresa. Parce qu’elle n’était pas en mesure d’être constamment là physiquement, elle suivait parfois le processus de création par téléphone. Les appels sont des points d’encrage narratif qui nous mènent progressivement vers la première du spectacle. Le film est construit comme une expérience, comme une chorégraphie dans laquelle nous jouons avec les mouvements, les espaces, les contrepoints et les éléments récurrents dans le son et l’image.”
Perspective sur Rain
Sous la plume de Charlotte Garson critique du cinéma et rédactrice en chef adjointe des Cahiers du Cinéma :
“À la demande de l’Opéra de Paris, Anne Teresa De Keersmaeker accepte de monter à nouveau Rain (2001), dont la gestuelle contemporaine paraît a priori étrangère à l’illustre compagnie française. Familiers du travail de la chorégraphe qui leur a déjà commandé des captations, les réalisateurs partagent avec elle un goût de la rigueur et de la sensualité. En l’occurrence, sobriété documentaire et discrètes incursions romanesques, comme lorsque, faisant fi de la chronologie et des règles de la compagnie de l’Opéra (filmer, d’accord, mais pas une seule personne), la caméra s’attarde sur la beauté gracile de l’une des ballerines. Le montage alterne ainsi des régimes d’images différents : vidéo de la première création de Rain que consulte parfois la troupe, plans de caméras de surveillance de l’Opéra, conversations téléphoniques de la chorégraphe… Le film se fait rideau, semblable à la frange minimale et ondoyante du décor de Rain à Paris. Par ce qu’elle soustrait au regard, cette forme fragmentaire suggère qu’au-delà du travail technique d’apprentissage des pas, une appropriation plus mystérieuse a lieu. Une transmission visible seulement, peut-être, dans le présent vivant de la performance.”
Les cinéastes Olivia Rochette et Gerard-Jan Claes à propos de leur film :
“En 2009, Anne Teresa De Keersmaeker nous a demandé de filmer sa chorégraphie The Song. Ce fut le début d’une longue collaboration : à ce jour, nous avons filmé des dizaines de spectacles, vidéos, entretiens, bandes-annonces et avons également réalisé deux documentaires qui détaillent son processus de travail, , toujours en collaboration étroite avec Rosas, la compagnie de danse d’Anne Teresa. Nous avons très rapidement développé une forte affinité avec le travail d’Anne Teresa. Ses spectacles oscillent entre un monde abstrait, mental et un monde concret, physique. Les danseurs eux-mêmes alternent entre maitrise, ordre et symétrie d’une part, et font preuve, d’autre part, d’une explosivité́ et d’une perte totale de contrôle. Cela crée une esthétique complexe mais riche. Anne Teresa parvient à travailler, à l’intérieur d’un cadre strictement défini, de manière très intuitive.
C’est aussi un point très important dans notre conception du documentaire. Nous aimons travailler de manière intuitive dans un cadre prédéterminé. Chaque film a un point de départ défini et se développe au gré des rencontres avec des personnes, un espace, un morceau de musique, des couleurs et textures... C’est une façon tout aussi rationnelle que spontanée de travailler, sans pour autant que l’arbitraire prenne le relais. Pour nous, le documentaire représente bien davantage qu’un moyen de transmettre des informations. C’est la combinaison d’une candeur espiègle et d’une structure complexe qui peut parfois faire naître une certaine poésie raffinée.
Quand Anne Teresa a accepté de mettre en scène une pièce à l’Opéra de Paris, elle a nous demandé de créer un documentaire sur le processus. Dès que nous avons franchi les portes de l’Opéra de Paris, un monde merveilleux s’est ouvert à nous : une institution avec une hiérarchie stricte, des règles et des danseurs étoiles. Des rouages complexes se cachent derrière cette imposante façade. Notre documentaire Rain se focalise sur la manière dont Anne Teresa, au sein de Rosas, transmet son langage de la danse aux danseurs de ballet ayant reçu une formation classique. C’est une rencontre filmée entre ces deux mondes.
Rain n’est pas un simple enregistrement des méthodes de travail d’Anne Teresa. Le documentaire est composé d’un ensemble d’espaces visuels, auditifs ainsi que de personnages : le studio de répétition, l’Opéra, la musique crée par les sons du bâtiment, un danseur de Rosas, des images de caméra de surveillance, une jeune ballerine, des images de télévision, un chanteur... et à travers les conversations téléphoniques, également la voix impliquée d’Anne Teresa. Parce qu’elle n’était pas en mesure d’être constamment là physiquement, elle suivait parfois le processus de création par téléphone. Les appels sont des points d’encrage narratif qui nous mènent progressivement vers la première du spectacle. Le film est construit comme une expérience, comme une chorégraphie dans laquelle nous jouons avec les mouvements, les espaces, les contrepoints et les éléments récurrents dans le son et l’image.”
Ce cri pessimiste de détresse urbaine retrace en images très expressionnistes l'errance d'un homme tourmenté dans la ville portuaire d'Anvers, qui ne rencontre de compréhension qu'auprès d'un orphelin et de deux femmes sans illusions.
Les mouettes meurent au port
Chef-d’œuvre du cinéma flamand
Introduction par Wouter Hessels
Dans la Belgique et la Flandre d’après-guerre, l’industrie cinématographique locale était pratiquement inexistante. Les salles obscures de Flandre étaient inondées de films américains. Les flamands étaient de gros consommateurs de cinéma et de grands amoureux d’Hollywood. En 1952, une mesure de soutien financier est venue stimuler la production de films belges. Entre 1953 et 1955, elle a permis la réalisation d’une douzaine de longs-métrages. Neuf de ces douze films étaient des comédies anversoises comme Het Schipperskwartier (1953) d’Edith Kiel et Jan Vanderheyden, avec les personnalités locales Co Flower et Charles Janssens. Ces farces stéréotypées, jouées en dialecte anversois, étaient tournées en un rien de temps avec des budgets très restreints, et ont défini la production cinématographique flamande des années cinquante.
Le journaliste cinéma et présentateur de Première Roland Verhavert (1927-2014), l’écrivain et critique d’art Ivo Michiels (1923-2012) et le cinéaste expérimental Rik Kuypers (1925-2019) ont voulu réhausser la qualité du cinéma flamand autant sur le fond que la forme, et ont travaillé ensemble sur un film à propos d’un vagabond excentrique fuyant son passé tragique. Le trio avait en tête des films internationaux comme Huit Heures de Sursis (1947), Le Troisième Homme (1949) et Jeux interdits (1952). Les films de montage d’avant-garde soviétique, le réalisme poétique français, le néoréalisme italien ainsi que le film noir américain étaient pour Verhavert, Michiels et Kuypers les références cinématographiques par excellence. Avec le soutien du rédacteur en chef cinéphile de ’t Pallieterke Bruno de Winter et de nombreux hommes d’affaires anversois, ils tournent un film cosmopolite dans le cœur industriel, touristique, architectural et historique de la ville. Le rôle principal du antihéros misanthrope est incarné par le Marlon Brando flamand, Julien Schoenaerts, jeune premier du Koninklijke Nederlandse Schouwburg d’Anvers. Face à lui, un beau casting composé de Dora van der Groen, Tine Balder, Tone Brulin et de la petite actrice Gigi.
Le charismatique Schoenaerts, dans la peau d'un ‘Prince’ tourmenté et perdu, erre dans un Anvers atmosphérique, avec une imagerie très appuyée. Parfois existentialiste, en noir et blanc, avec des ombres longues et profondes. D'autres fois lucide, moderniste, avec l'architecture de Renaat Braem en toile de fond. L’atmosphère visuelle très réussie, l'image texturée à plusieurs niveaux et l'excellent jeu d'acteurs sont encore renforcés par le jazz de la magnifique bande originale du musicien anversois Jack Sels. En ce sens, Les mouettes meurent au port est un parfait prélude à Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle ou À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard.
Les mouettes meurent au port est un chef d'œuvre flamand, mais non dénué de défauts. Les dialogues sont parfois laborieux et les rebondissements ne sont pas tous plausibles. Le film fut bien reçu par la critique dans la presse cinéma belge et a été le tout premier film flamand sélectionné pour le festival de Cannes en 1956. L'historien du cinéma et journaliste français renommé Georges Sadoul fit un éloge du film nuancé. Grâce à ses sympathies communistes, environ 1000 copies des Mouettes meurent au port furent distribuées en russie soviétique. Même si le public russe aura eu à entendre un Schoenarts en version doublée.
Ivo Michiels, Roland Verhavert et Julien Schoenaerts se sont retrouvés respectivement en tant que scénariste, réalisateur et acteur dans Les Adieux (1966), un drame psychologique symboliste dans lequel l’angoisse existentielle, la solitude et le vide des Mouettes meurent au port ont été épurés. Verhavert et Michiels ont tous les deux été professeurs à l'école de cinéma et de théâtre RITCS, fondée en 1962. Rik Kuypers a réalisé d’autres films (l'expérimental De obool (1966), l’inachevé Adieu Filippi (1968) et le biopic Lieven Gevaert, eerste arbeider (1968)) avant de partir habiter au Pérou jusqu’à sa mort. Ivo Michiels a plus tard travaillé avec André Delvaux sur Met Dieric Bouts (1975) – l’un des plus beaux films d’art belges – et Femme entre chien et loup (1979). Dans les années septante et quatre-vingt, Roland Verhavert a surtout réalisé et produit des films jouant sur la nostalgie rurale flamande, comme Le Conscrit (1974), Pallieter (1975) et Boerenpsalm (1989), qui sur la forme, sont bien moins inspirés que Les mouettes meurent au port.
Wouter Hessels
Professeur d’histoire du cinéma au RITCS
Professeur d’analyse de film INSAS
Curateur cinéma du Château de Gaasbeek
Les mouettes meurent au port
Chef-d’œuvre du cinéma flamand
Introduction par Wouter Hessels
Dans la Belgique et la Flandre d’après-guerre, l’industrie cinématographique locale était pratiquement inexistante. Les salles obscures de Flandre étaient inondées de films américains. Les flamands étaient de gros consommateurs de cinéma et de grands amoureux d’Hollywood. En 1952, une mesure de soutien financier est venue stimuler la production de films belges. Entre 1953 et 1955, elle a permis la réalisation d’une douzaine de longs-métrages. Neuf de ces douze films étaient des comédies anversoises comme Het Schipperskwartier (1953) d’Edith Kiel et Jan Vanderheyden, avec les personnalités locales Co Flower et Charles Janssens. Ces farces stéréotypées, jouées en dialecte anversois, étaient tournées en un rien de temps avec des budgets très restreints, et ont défini la production cinématographique flamande des années cinquante.
Le journaliste cinéma et présentateur de Première Roland Verhavert (1927-2014), l’écrivain et critique d’art Ivo Michiels (1923-2012) et le cinéaste expérimental Rik Kuypers (1925-2019) ont voulu réhausser la qualité du cinéma flamand autant sur le fond que la forme, et ont travaillé ensemble sur un film à propos d’un vagabond excentrique fuyant son passé tragique. Le trio avait en tête des films internationaux comme Huit Heures de Sursis (1947), Le Troisième Homme (1949) et Jeux interdits (1952). Les films de montage d’avant-garde soviétique, le réalisme poétique français, le néoréalisme italien ainsi que le film noir américain étaient pour Verhavert, Michiels et Kuypers les références cinématographiques par excellence. Avec le soutien du rédacteur en chef cinéphile de ’t Pallieterke Bruno de Winter et de nombreux hommes d’affaires anversois, ils tournent un film cosmopolite dans le cœur industriel, touristique, architectural et historique de la ville. Le rôle principal du antihéros misanthrope est incarné par le Marlon Brando flamand, Julien Schoenaerts, jeune premier du Koninklijke Nederlandse Schouwburg d’Anvers. Face à lui, un beau casting composé de Dora van der Groen, Tine Balder, Tone Brulin et de la petite actrice Gigi.
Le charismatique Schoenaerts, dans la peau d'un ‘Prince’ tourmenté et perdu, erre dans un Anvers atmosphérique, avec une imagerie très appuyée. Parfois existentialiste, en noir et blanc, avec des ombres longues et profondes. D'autres fois lucide, moderniste, avec l'architecture de Renaat Braem en toile de fond. L’atmosphère visuelle très réussie, l'image texturée à plusieurs niveaux et l'excellent jeu d'acteurs sont encore renforcés par le jazz de la magnifique bande originale du musicien anversois Jack Sels. En ce sens, Les mouettes meurent au port est un parfait prélude à Ascenseur pour l’échafaud (1958) de Louis Malle ou À bout de souffle (1960) de Jean-Luc Godard.
Les mouettes meurent au port est un chef d'œuvre flamand, mais non dénué de défauts. Les dialogues sont parfois laborieux et les rebondissements ne sont pas tous plausibles. Le film fut bien reçu par la critique dans la presse cinéma belge et a été le tout premier film flamand sélectionné pour le festival de Cannes en 1956. L'historien du cinéma et journaliste français renommé Georges Sadoul fit un éloge du film nuancé. Grâce à ses sympathies communistes, environ 1000 copies des Mouettes meurent au port furent distribuées en russie soviétique. Même si le public russe aura eu à entendre un Schoenarts en version doublée.
Ivo Michiels, Roland Verhavert et Julien Schoenaerts se sont retrouvés respectivement en tant que scénariste, réalisateur et acteur dans Les Adieux (1966), un drame psychologique symboliste dans lequel l’angoisse existentielle, la solitude et le vide des Mouettes meurent au port ont été épurés. Verhavert et Michiels ont tous les deux été professeurs à l'école de cinéma et de théâtre RITCS, fondée en 1962. Rik Kuypers a réalisé d’autres films (l'expérimental De obool (1966), l’inachevé Adieu Filippi (1968) et le biopic Lieven Gevaert, eerste arbeider (1968)) avant de partir habiter au Pérou jusqu’à sa mort. Ivo Michiels a plus tard travaillé avec André Delvaux sur Met Dieric Bouts (1975) – l’un des plus beaux films d’art belges – et Femme entre chien et loup (1979). Dans les années septante et quatre-vingt, Roland Verhavert a surtout réalisé et produit des films jouant sur la nostalgie rurale flamande, comme Le Conscrit (1974), Pallieter (1975) et Boerenpsalm (1989), qui sur la forme, sont bien moins inspirés que Les mouettes meurent au port.
Wouter Hessels
Professeur d’histoire du cinéma au RITCS
Professeur d’analyse de film INSAS
Curateur cinéma du Château de Gaasbeek
Découvrez sur grand écran du cinéma d'auteur belge stimulant, surprenant et qui donne à réfléchir. Avila, present! propose un programme inédit et diversifié de cinéma belge singulier. Chaque saison, quatre fois par an, Avila parcourt le pays avec un film classique ou contemporain. Regarder des films ensemble et en discuter après, hors des sentiers battus et des frontières linguistiques, voilà ce que le cinéma peut vous apporter.