Dans une galerie marchande, entre le salon de coiffure de Lili, la boutique de prêt-à-porter de la famille Schwartz et le bistrot de Sylvie, les employés et les clients se croisent, se rencontrent et rêvent d’amours : amours compromis, épistolaires ou impossibles. Ils en parlent, les chantent et les dansent, ponctués par les chœurs des shampouineuses.
Un ensemble exceptionnel de comédiens, dont Delphine Seyrig et la star de la pop des années 80 Lio, glissent à travers le centre commercial dans une chorégraphie finement dirigée, aux sons d'une bande-son pop entraînante. Akerman a elle-même écrit les paroles de ces chansons faussement joyeuses et ne cesse d'induire le spectateur en erreur : ce film est-il vraiment une critique ironique des années 1980 hyper-commerciales ou plutôt une affectueuse rêverie sur le quotidien ? Akerman s'est donnée à fond pour la conception sonore de ce film, qui regorge de petites trouvailles significatives : du claquement des talons hauts sur le sol au son importun d'une fermeture éclair, en passant par le ton et le volume toujours changeants des nombreuses conversations et chansons.
« Un « musical » Sur l’amour et le commerce. Burlesque, tendre, frénétique. Tout est parti du lieu. Une galerie marchande. Un espace qui fait de chacun le spectateur de tous les autres et un acteur malgré lui : lieu idéal pour une comédie musicale. Tout y est spectacle. De larges allées dallées de marbre; de silencieux escaliers; une température toujours douce, apparemment hors du temps, de l’histoire et des intempéries, mais tout à côté… Derrière les vitrines des boutiques on entr’aperçoit des visages maquillés, on accroche parfois un regard, de femme, le plus souvent. Des femmes qui n’ont pas toujours choisi de se retrouver derrière une vitrine où elles sont presque aussi exposées que ce qu’elles sont censées vendre, parfois aussi éclairées. Comme des actrices mais sans le plaisir de la scène, comme des femmes qui vendent leur corps, alors que le leur sert seulement à vendre. Et qui pourtant peuvent apparaître comme les dernières stars sous leurs rampes lumineuses, intouchables et pourtant si proches, séparées seulement du public par une porte de verre toujours ouverte. »
Chantal Akerman
« La comédie musicale passe pour un genre typiquement américain. Pourtant, avec Golden Eighties, Chantal Akerman - qui passe, à tort, pour une cinéaste exclusivement vouée à l'expérimental - a apporté la preuve que la comédie musicale s'exportait bien et que la langue française ne détruisait pas son charme. [...] Golden Eighties est un film délicieux et profond. Chantal Akerman a d'abord travaillé le décor et les costumes dans des tonalités acidulées et fraîches, qui créent un microcosme de désir et de constante séduction. Elle a aussi mis en place un jeu d'acteur spécifique et des déplacements plus proches de la chorégraphie que de la réalité. Les chansons sont charmantes et ponctuent les péripéties sans opérer de rupture avec l'action; au contraire, elles la magnifient et l'amplifient. La cinéaste a créé un rythme, une tension qui installe sans cesse la légèreté ou la nostalgie. »
Jacqueline Aubenas
« Golden Eighties est une comédie musicale révoltée. J’aime la façon dont Chantal Akerman tisse son esthétique avant-gardiste de la répétition, de la sérialité et du modèle formel dans la sérialité du chœur de la comédie musicale, dans les motifs répétés de la chanson et de la danse, le tout encadré par les motifs plus généraux de la mise en scène. Le film reflète les difficultés économiques des années 1980, tout comme les comédies musicales hollywoodiennes l’avaient fait dans les années 1930, tandis que le jeu entre le hasard et le romantisme quotidien rappelle Jacques Demy. »
Laura Mulvey


Les travaux ont été effectués à partir des négatifs 35 mm conservés dans les collections de la Cinémathèque royale de Belgique, où le film a été numérisé en 4K. La restauration image a été réalisée au laboratoire de L’Immagine Ritrovata sous la supervision du cadreur Luc Benhamou. Le son a été restauré par L’Immagine Ritrovata à partir du mixage original.
Un centre commercial de désirs
Perspective sur Golden Eighties
Texte d'introduction de Nina de Vroome
On est en 1986, dans un centre commercial de Bruxelles, et l’on rencontre une foule de personnages hauts en couleur. Il y a des magasins de vêtements et un salon de coiffure dans la lumière bleutée et stérile de façades en verre. Les talons des coiffeuses claquent joyeusement sur le carrelage blanc, lorsqu’un rebondissement romantique ravive les esprits. "Il l’a trompée !" Les clientes dévalent les escaliers, les épaules encore mouillées, et examinent les vitrines. Les shampouineuses chantent : "Il pleut ! Comme j'aime la pluie !", bien qu’on ait jamais l'occasion de la voir, la pluie, puisque le centre commercial est souterrain. La lumière du jour n'y pénètre pas et les personnages semblent se suffire les uns aux autres. Les nombreuses relations amoureuses restent confinées à cet univers de shopping.
Comédie musicale énergique, Golden Eighties est le film le plus coloré de Chantal Akerman, réalisé à l'âge de 36 ans. Akerman est née à Bruxelles dans une famille juive polonaise. Sa mère, dont les parents ont tous deux été assassinés à Auschwitz, est une survivante de l'Holocauste. Cette histoire familiale a joué un rôle majeur dans la vie et l'œuvre d'Akerman. Akeramn a plusieurs fois mis en images la relation avec sa mère, comme dans News from Home (1976), réalisé alors qu'elle vivait à New York, et No Home Movie (2015). Elle retourne en Belgique en 1973, où elle réalise notamment Je, tu, il, elle (1976), qui la rend célèbre. Elle s'installe ensuite à Paris. Elle a réalisé de nombreux longs métrages, courts métrages et documentaires qui ont inspiré des générations de cinéastes. Son film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) a récemment été nommé meilleur film de tous les temps par le magazine Sight&Sound du British Film Institute.
Dans une conversation avec le producteur de théâtre belge Jan Decorte, Akerman explique comment Golden Eighties s'est transformé très naturellement en comédie musicale. "Quand tu entres dans une galerie, le matin (...) il suffit que les filles arrivent plus ou moins en même temps et qu'elles ouvrent leur boutique, pour que ce soit déjà choregraphié". Les filles sont observées à travers les vitrines des magasins et, à leur tour, elles épient constamment ce qui se passe à l'extérieur. Tout le monde fait du "lèche-vitrines" : le centre commercial est avant tout un lieu où sont cultivés les désirs. La vitrine du magasin de vêtements éveille l’envie d'un nouveau look afin d’être attirant(e) pour l’objet de son désir.
Golden Eighties présente un tourbillon continu de désirs jamais satisfaits. Akerman a déclaré à ce sujet : "L'amour, c'est comme une jupe. Si l'une ne vous va pas, vous en cherchez une autre". Dans la société de consommation moderne, l'amour devient interchangeable. Dans les années 1980, la société semble se détacher des relations à long terme et du passé. Mais l'Histoire a bel et bien eu lieu. Le personnage de Jeanne Schwartz, interprété par Delphine Seyrig, est une survivante polonaise des camps de concentration. Aujourd'hui, elle tient un magasin de vêtements avec son mari ennuyeux et leur charmant fils. La vie se déroule donc désormais dans ce monde de verre et de shampoing parfumé.
Les mélodies des Golden Eighties restent en tête. Akerman a écrit les chansons elle-même, avec le compositeur Marc Hérouet, interprétées par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, entre autres. À ses débuts, Akerman n'utilisait jamais de musique dans ses films, jusqu'à ce qu'elle rencontre Wieder-Atherton en 1984 et soit touchée par les rythmes, les motifs et l'énergie qu'elle apportait avec sa musique. Depuis, elles ont travaillé ensemble et sont devenues très proches. Sonia Wieder-Atherton a déclaré : "Je suis devenue sa bande-son, et elle est devenue les images de ma musique". Les images et la musique coïncident totalement dans Golden Eighties, une comédie musicale qui continue de résonner dans l'œuvre d'Akerman, où l'humour, le corps en mouvement et la musicalité restent omniprésents.
Un centre commercial de désirs
Perspective sur Golden Eighties
Texte d'introduction de Nina de Vroome
On est en 1986, dans un centre commercial de Bruxelles, et l’on rencontre une foule de personnages hauts en couleur. Il y a des magasins de vêtements et un salon de coiffure dans la lumière bleutée et stérile de façades en verre. Les talons des coiffeuses claquent joyeusement sur le carrelage blanc, lorsqu’un rebondissement romantique ravive les esprits. "Il l’a trompée !" Les clientes dévalent les escaliers, les épaules encore mouillées, et examinent les vitrines. Les shampouineuses chantent : "Il pleut ! Comme j'aime la pluie !", bien qu’on ait jamais l'occasion de la voir, la pluie, puisque le centre commercial est souterrain. La lumière du jour n'y pénètre pas et les personnages semblent se suffire les uns aux autres. Les nombreuses relations amoureuses restent confinées à cet univers de shopping.
Comédie musicale énergique, Golden Eighties est le film le plus coloré de Chantal Akerman, réalisé à l'âge de 36 ans. Akerman est née à Bruxelles dans une famille juive polonaise. Sa mère, dont les parents ont tous deux été assassinés à Auschwitz, est une survivante de l'Holocauste. Cette histoire familiale a joué un rôle majeur dans la vie et l'œuvre d'Akerman. Akeramn a plusieurs fois mis en images la relation avec sa mère, comme dans News from Home (1976), réalisé alors qu'elle vivait à New York, et No Home Movie (2015). Elle retourne en Belgique en 1973, où elle réalise notamment Je, tu, il, elle (1976), qui la rend célèbre. Elle s'installe ensuite à Paris. Elle a réalisé de nombreux longs métrages, courts métrages et documentaires qui ont inspiré des générations de cinéastes. Son film Jeanne Dielman, 23 quai du commerce, 1080 Bruxelles (1975) a récemment été nommé meilleur film de tous les temps par le magazine Sight&Sound du British Film Institute.
Dans une conversation avec le producteur de théâtre belge Jan Decorte, Akerman explique comment Golden Eighties s'est transformé très naturellement en comédie musicale. "Quand tu entres dans une galerie, le matin (...) il suffit que les filles arrivent plus ou moins en même temps et qu'elles ouvrent leur boutique, pour que ce soit déjà choregraphié". Les filles sont observées à travers les vitrines des magasins et, à leur tour, elles épient constamment ce qui se passe à l'extérieur. Tout le monde fait du "lèche-vitrines" : le centre commercial est avant tout un lieu où sont cultivés les désirs. La vitrine du magasin de vêtements éveille l’envie d'un nouveau look afin d’être attirant(e) pour l’objet de son désir.
Golden Eighties présente un tourbillon continu de désirs jamais satisfaits. Akerman a déclaré à ce sujet : "L'amour, c'est comme une jupe. Si l'une ne vous va pas, vous en cherchez une autre". Dans la société de consommation moderne, l'amour devient interchangeable. Dans les années 1980, la société semble se détacher des relations à long terme et du passé. Mais l'Histoire a bel et bien eu lieu. Le personnage de Jeanne Schwartz, interprété par Delphine Seyrig, est une survivante polonaise des camps de concentration. Aujourd'hui, elle tient un magasin de vêtements avec son mari ennuyeux et leur charmant fils. La vie se déroule donc désormais dans ce monde de verre et de shampoing parfumé.
Les mélodies des Golden Eighties restent en tête. Akerman a écrit les chansons elle-même, avec le compositeur Marc Hérouet, interprétées par la violoncelliste Sonia Wieder-Atherton, entre autres. À ses débuts, Akerman n'utilisait jamais de musique dans ses films, jusqu'à ce qu'elle rencontre Wieder-Atherton en 1984 et soit touchée par les rythmes, les motifs et l'énergie qu'elle apportait avec sa musique. Depuis, elles ont travaillé ensemble et sont devenues très proches. Sonia Wieder-Atherton a déclaré : "Je suis devenue sa bande-son, et elle est devenue les images de ma musique". Les images et la musique coïncident totalement dans Golden Eighties, une comédie musicale qui continue de résonner dans l'œuvre d'Akerman, où l'humour, le corps en mouvement et la musicalité restent omniprésents.