Après avoir fait une série de reportages télévisés sur son pays d’origine, la Palestine, Michel Khleifi, avec La mémoire fertile, aborde un cinéma plus personnel: celui du documentaire de création.
Il y brosse le portrait des deux femmes. Farah est une vieille dame, veuve, devenue ouvrière d’usine après qu’on l’a spoliée de ses terres. Avec une obstination butée, elle n’accepte pas les propositions de compensation que lui font les Israéliens. Sahar, elle, est une intellectuelle. Divorcée, elle paie son indépendance, son droit à l’écriture, par la solitude. Michel Khleifi, en filmant ces deux personnages qui représentent les milieux sociaux et des générations différentes, aborde plus largement la condition des femmes. Elles ont à lutter sur tous les fronts : à l’extérieur, pour faire face aux agressions de l’Etat d’Israël; dans leur propre vie, pour se défendre contre les diktats d’une société patriarcale; avec elles-mêmes, enfin, pour choisir leur chemin et, avec courage, leurs lieux de refus. Le ton de l’intellectuelle est celui d’une entrevue/réflexion ou d’une conversation/méditation. Il diffère de celui de la vieille dame, plus proche de la saga familiale, de la mémoire affective.
Si ce film aborde les problèmes fondamentaux d’une société et d’une nationalité, il ne le fait pas d’une manière raide, mais par touches impressionnistes tenant à la fois des gestes de la vie quotidienne et des réflexions sur la vie. Eplucher des légumes, prendre un autobus, langer un enfant, faire son ménage, regarder la télévision en famille, penser aux morts et aux absents, chanter (on chante beaucoup dans ce film) deviennent alors des actes absolument culturels.
« Dans la troupe lasse des cinéastes arabes qui se sont usés à concilier art et engagement, Michel Khleifi fait figure de petit dernier romantique, voire utopiste, qui pense qu’il faut filmer. Il lui a suffi de tenir bon sur un seul point: la fonction d’un cinéaste n’est pas de faire de la propagande, mais de poser un regard juste sur une situation et des personnages justes. »
Serge Daney
« Ce que nous voyons à l’écran, ou sur toute image représentant la solidité des Palestiniens de l’intérieur, ce n’est que ça, une image utopique permettant d’établir un lien entre des individus palestiniens et une terre palestinienne. »
Edward Saïd